samedi 28 décembre 2013

Pour une réforme profonde du système judiciaire en RD Congo


Les cas de l’honorable Eugène Diomi Ndongala et du pasteur Fernando Kutino, deux leaders d’opinions originaires du Bas-Congo[1] qui croupissent piteusement dans la prison centrale de Makala, ne peut laisser indifférent plus d’un défenseur des droits fondamentaux de la personne humaine. Faut-il croire que tout est entrepris pour qu’aucun Mukongo ne puisse émerger politiquement sur le plan national ? C’est ainsi que Ne Manda Nsemi[2] et ses partisans du Bundu dia Kongo (BDK) ont été farouchement combattus par le pouvoir central[3].
En effet, la situation géostratégique de la province du Bas-Congo, qui plus est une bande coincée entre le Congo-Brazzaville et l’Angola disposant d’une ouverture sur l’Océan Atlantique et situé au cœur même de l’ancien royaume Kongo, est pour beaucoup dans la volonté aussi bien nationale que régionale de vouloir à tout prix maîtriser les personnes consciencieuses qui y sont originaires. Pourtant, l’article 8 de la Constitution de la République Démocratique du Congo reconnaît le caractère sacré des droits liés à l’existence et aux activités de l’opposition dans sa lutte en vue de la conquête démocratique du pouvoir. Quant à l’article 12 de la loi fondamentale, elle stipule que « tous les Congolais sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection des lois ».

Le fils de Diogas et le pasteur Fernando Kutino

Selon un communiqué de presse récemment diffusé par Démocratie Chrétienne (DC), Eugène Diomi Ndongala[4] a été hospitalisé en urgence le 27 décembre dernier à la clinique Ngaliema, dans la ville de Kinshasa, après avoir été retrouvé en état d’inconscience dans sa cellule de la prison centrale de Makala. Les conditions de vie dans les geôles congolaises ne pouvaient qu’avoir des conséquences graves sur l’état de sante du président de DC, qui plus est considéré par les organisations non gouvernementales locales et internationales comme un prisonnier politique. Cette situation n’est qu’une énième violation des droits fondamentaux de la personne humaine, après un déni de soins appropriés dont le fils de Diogas[5] a été victime pendant plusieurs mois.
Quant à l’archibishop Fernando Kutino, le chef spirituel de l’Armée de Victoire – condamné officiellement pour détention d’armes et munitions de guerre, ainsi que pour tentative de meurtre sur le pasteur Ngalasi de l’église la Louange[6] –, il a été hospitalisé en septembre dernier, à la suite d’un accident vasculaire cérébral, au service des soins intensifs du centre Nganda dans la capitale congolaise.

Le sort des opposants Bakongo

Tout ressortissant du Bas-Congo qui s’oppose au régime en place à Kinshasa, à moins d’être « visiteur du soir »[7], finit toujours par avoir des problèmes avec la justice. Juste un cas parmi tant d’autres. L’honorable Fabrice Puela, du groupe parlementaire Force acquise au changement (FAC), s’est vu privé le 29 novembre 2013 de ses indemnités parlementaires pendant trois mois. Cette décision fait suite à l’absence du député de la plénière du 27 novembre dernier dans laquelle le ministre des Affaires étrangères devait répondre à une question orale avec débat, sur l’état des lieux des négociations de Kampala, dont le député du Bas-Congo était l’initiateur. Pour le bureau de l’Assemblée nationale, cette absence constitue « un manque de respect » vis-à-vis de l’Assemblée nationale et du Gouvernement[8]. Dans l’absolu, ce n’est pas tant le non-respect des prescrits de l’article 108 du règlement intérieur et du code de conduite de l’agent public de l’Etat qui est contesté. Ce qui est incompréhensible, par rapport à d’autres situations plus graves que le cas en l’espèce, c’est la rapidité avec laquelle la sanction a été appliquée par le président de l’Assemblée nationale. Quel Mukongo opposant sera, demain, victime de cet acharnement ethnique ? « Quand on tire sur la colombe, le perroquet ne doit pas se réjouir », dit un vieux proverbe bantou.

La nécessité d’une réforme judiciaire

Force est de réaliser qu’à travers les cas d’Eugène Diomi Ndongala et de l’archibishop Fernando Kutino, du député Fabrice Puela, ainsi qu’au-delà du caractère ethnique de la répression à leur encontre, la nécessité de réformer en profondeur le système judiciaire congolais. « Les institutions de la République Démocratique du Congo, ce grand corps malade, ont besoin d’un traitement de choc à l’issue d’un diagnostic sérieux »[9]. Bien entendu, il va falloir éviter que le courroux de la justice ne s’abatte facilement que sur les seuls opposants de la province du Bas-Congo. Ainsi des modifications audacieuses devraient-elles être entreprises – pour ce qui est de la garde à vue, de la détention judiciaire et du système pénitentiaire – en vue de l’ancrage d’un Etat de droit.
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L’honorable Fabrice Puela, l’archibishop Fernando Kutino et l’honorable Eugène Diomi Ndongala
La détention judiciaire, la garde à vue et le système pénitentiaire

Le respect des droits fondamentaux de la personne humaine veut qu’un individu, qui est détenu de manière préventive dans un établissement de la République, puisse comparaître dans un délai raisonnable devant le juge. Dans le cas contraire, s’il n’a pas encore subi un procès en bonne et due forme et n’a nullement été l’objet d’une condamnation judiciaire reconnaissant toute sa culpabilité, un juge statuant en référé devra prononcer immédiatement la relaxe. Toutefois, cette décision judiciaire ne fera nullement tomber les accusations portées par le ministère public ou le juge d’instruction. Par ailleurs, si elle présente une menace vraiment sérieuse et suffisante pour la sécurité nationale et la paix internationale, cette personne ne pourra que bénéficier d’une liberté sévèrement encadrée dans les conditions qui devront être prévues par la loi ou décidées par le juge.
En tant que détention administrative, la garde à vue devra être de 24 heures pour les crimes de droit commun, de 48 heures pour les actes du grand banditisme et de 72 heures pour les opérations terroristes. À l’issue de ces délais, les personnes interpellées par les autorités policières, voire administratives, devront comparaître immédiatement devant le juge pour décider de leur détention judiciaire, c’est-à-dire préventive. Dans le cas contraire, si l’on a omis de les déférer devant un tribunal compétent, les autorités policières et administratives devront les relâcher sur décision judiciaire qui constatera la caducité de la poursuite, donc de l’accusation, et prononcera une ordonnance de non-lieu.
Dans la même optique, il faudra interdire la torture, les arrestations arbitraires, les peines et les traitements inhumains ou dégradants. Par conséquent, il faudra prendre des mesures contre les mauvais traitements susceptibles d’être infligés aux détenus, et les mauvaises conditions de vie, ou de détention, dans les établissements pénitentiaires.

L’indépendance de la justice

Dans le souci de l’apaisement social, l’indépendance de la justice doit être renforcée en République Démocratique du Congo. Ainsi les lois organiques ayant trait à l’autonomie de la Cour constitutionnelle et du Conseil supérieur de la magistrature doivent-elles être impérativement introduites au Parlement. Il va falloir veiller non seulement à l’indépendance et à l’impartialité de la justice, mais surtout au respect d’une réelle séparation des pouvoirs. En effet, il est indispensable de contribuer à l’affirmation d’un véritable pouvoir judiciaire dont les plus hauts magistrats ne seront plus nommés par le pouvoir politique. Cela devra se faire par le biais d’un Haut conseil des professions judiciaires (HCPJ) avec des « auditions » devant des commissions spécialisées du Parlement qui vérifieront les qualifications aux fonctions.

Gaspard-Hubert Lonsi Koko

© Agoravox

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[1] Le Congo central, ou Bas-Congo, est une région relativement stable qui attire les investissements étrangers pour son potentiel hydroélectrique et son pétrole. In Ma vision pour le Congo-Kinshasa et la région des Grands Lacs, Gaspard-Hubert Lonsi Koko, L’Harmattan, Paris, novembre 2013.
[2] Interdit de séjour dans la province du Bas-Congo dont il fut l’un des députés dans la législature 2006-2011, Né Muanda Nsemi a été élu député de la Funa dans la ville de Kinshasa.
[3] Lire l’article de B. Amba Wetshi, paru sur le site Internet Congo indépendant, intitulé Un massacre des adeptes du BDK a bel et bien eu lieu.
[4] Après avoir été porté disparu le 25 juin 2012, l’opposant Eugène Diomi Ndongala, dont le mandat de député a été invalidé le 15 juin 2013, fut retrouvé le 11 octobre 2012 dans la commune de Ngaliema, à l’ouest de Kinshasa, non loin du centre supérieur militaire. Il est officiellement condamné pour viol sur mineure et tentative de coup d’Etat. Pour son épouse et ses avocats, le député du Bas-Congo est détenu illégalement. Ils évoquent pour cela une décision de la Cour suprême de justice enjoignant qu’il soit mis en résidence surveillée. Selon le procureur général de la République, Flory Kabange Numbi, « la résidence la mieux surveillée » pour Eugène Diomi Ndongala est la prison centrale de Makala.
[5] Il s’agit d’un cas de double apocope de Diomi et Gaston, Eugène Diomi Ndongala étant le fils de Gaston Diomi un ancien homme d’affaires du district de la Lukaya dans la province du Bas-Congo.
[6] Un jugement que ses avocats avaient jugé décevant. De plus, pour eux, les preuves apportées par la Cour n’étaient pas rigoureuses.
[7] Plus précisément opposant le jour et courtisan la nuit.
[8] Le député du Bas-Congo n’avait pas participé à ladite plénière par solidarité au groupe parlementaire MLC et alliés qui a suspendu sa participation aux travaux parlementaires pour protester contre le transfèrement de Fidèle Babala à la Cour pénale internationale.
[9] In La République Démocratique du Congo, un combat pour la survie, Gaspard-Hubert Lonsi Koko, L’Harmattan, Paris, 2011.

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