jeudi 22 mai 2014

A Paris, Joseph Kabila joue la carte centrafricaine

Pourquoi Paris déroule le tapis rouge au président congolais ? François Hollande et Joseph Kabila se sont trouvés des intérêts communs dans le dossier centrafricain.
François Hollande et Joseph Kabila à L’Elysée le 21 mai 2014 © Présidence de la République
« Réchauffement », « normalisation », l’équipe de Joseph Kabila affiche sa satisfaction après l’entrevue du président congolais avec François Hollande mercredi 21 mai à l’Elysée. Il faut dire que la dernière rencontre entre les deux hommes s’était déroulée dans un climat plutôt glaciale à Kinshasa pendant le Sommet de la Francophonie d’octobre 2012. A l’époque, le président français avait vertement tancé le leader congolais sur la situation des droits de l’homme « tout à fait inacceptable » en République démocratique du Congo (RDC).

La France engagée dans deux conflits africains

18 mois plus tard, la situation a évolué entre François Hollande et Joseph Kabila. Le président français déroule aujourd’hui le tapis rouge de l’Elysée (qu’il n’y avait pas) pour recevoir son homologue congolais. Qu’est-ce qui a changé ? Si la situation des droits de l’homme n’a guère progressé à Kinshasa, la France s’est lancée dans deux guerres africaines qu’elle n’avait pas programmée : le Mali et surtout… la Centrafrique. Deux conflits qui s’enlisent et qui nécessitent à la France de s’appuyer sur de nouveaux partenaires africains. François Hollande s’est rapproché de l’incontournable Idriss Déby pour venir renforcer l’opération Serval au Mali. Aujourd’hui, le président français compte sur la RDC en Centrafrique [lire la suite].

Christophe Rigaud

© Afrikarabia

lundi 19 mai 2014

Expulsion vers Kinshasa : Lettre ouverte au président Denis SASSOU NGUESSO



Monsieur le Président de la République,

Nous souhaiterions attirer fraternellement votre attention sur l’opération « Mbata ya mokolo » initiée par les administrations de la République du Congo à l’encontre des migrants originaires de la République Démocratique du Congo.

Notre inquiétude ne réside pas dans le fait d’avoir expulsé plus de 83 000 de nos compatriotes qui séjournaient sur votre sol, votre pays étant souverain. Ce sont plutôt les éventuelles conséquences des informations sur les violations des droits fondamentaux de la personne humaine qui nous préoccupent davantage.

Par conséquent, nous, membres de la diaspora RDCongolaise, nous nous demandons avec force et vigueur si les expulsés sont victimes d’un règlement de compte entre Kinshasa et Brazzaville. Nous nous interrogeons sur les véritables motivations de ces refoulements, dans la mesure où les extraditions judiciaires auraient été le processus le plus approprié.

C’est parce que nous privilégions la sagesse que nous voulons connaître les tenants et les aboutissants, ayant débouché sur l’humiliation de nos compatriotes ; c’est parce que nous prenons en compte la dimension étatique que nous souhaitons le rassemblement sur les deux rives du fleuve Congo, au vu des relations millénaires entre nos deux peuples, de tout ce qui est épars ; c’est parce que nous sommes des humanistes que nous avons à cœur de soutenir toute initiative favorable au plus grand bienfait de nos populations et tenons à ce que tout soit entrepris dans le meilleur délai afin de mettre un terme au climat de haine qui s’installe entre nos deux peuples ; c’est parce que nous tenons à sauvegarder les intérêts de nos compatriotes vivant dans votre territoire que nous recourrons à la voix diplomatique en vue de la résolution pacifique, en toute fraternité, des conséquences dues à l’expulsion des plus de 10 % d’entre eux ; c’est parce que nous sommes conscients que l’on ne résout pas positivement les rapports entre Nations par la passion que nous prenons en compte, dans notre démarche, les obligations morales qui cimentent nos rapports, ainsi que l’amélioration et la poursuite d’un bon voisinage.

Aucune entrave au principe inhérent aux obligations morales et fraternelles ne doit être tolérée. La violence n’ayant jamais rien arrangé, l’objectif de notre initiative consiste à chercher la vérité en vue de la solidarité.

Nous estimons que, dans ce moment difficile, nos cœurs devront plutôt se rapprocher en même temps que nos mains pour que la grandeur de ce geste et son sens profond puissent lier davantage, comme dans le passé, nos deux peuples dans le temps présent et dans le futur.

Votre tâche, qui consiste à faire en sorte que nos deux peuples vivent en harmonie, n’est pas au-dessus de vos forces – à la condition qu’elle devienne ce qu’elle doit être : l’humanisme au service des populations. L’harmonie, tout comme le bien, se diffuse.

Ainsi espérons-nous avoir des interlocuteurs responsables en vue d’un échange constructif sur des mesures susceptibles de répondre aux pratiques inhumaines ayant porté atteinte à l’honneur d’un peuple frère.

Nous pensons que seules la tolérance mutuelle, ainsi que le respect des autres et de soi-même faciliteront les échanges culturels, traditionnels et économiques, ainsi que l’entente cordiale entre Kinshasa et Brazzaville.

Espérant pouvoir compter sur les relations fraternelles ayant toujours liées nos deux peuples et sur votre compréhension, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre très haute considération.

Fait à Paris, le 19 mai 2014

Les signataires :
Gaspard-Hubert Lonsi Koko, Ferdinand Lufete, Modeste Mputu-Mulenda, Emmanuel Mutombo-Lupetu, Samuel Tambue-Kanyuka

Contact :
- congolaisdefrance@gmail.com
- 0033612066872

lundi 5 mai 2014

Cinq questions à Gaspard-Hubert Lonsi Koko

1. Comment réagissez-vous à l’ opération « Mbata ya mokolo » initiée par les autorités du Congo-Brazzaville ?
La dénomination de l’opération menée à l’encontre de nos compatriotes lui confère une connotation provocatrice. Les expulsés sont-ils victimes d’un règlement de compte entre Kinshasa et Brazzaville ? S’agit-il d’une concertation régionale, dans la mesure où l’Angola menace à son tour d’expulser de force nos ressortissants en situation irrégulière ? Faudra-t-il voir, à travers les positions de Brazzaville et de Luanda, une volonté manifeste dans l’espoir d’un mécontentement populaire à Kinshasa, ou alors un acte prémédité consistant à infiltrer des éléments subversifs dans notre territoire ? J’ose espérer que la sagesse reprendra le dessus. Je souhaite que, sur les deux rives du fleuve Congo, l’on sache rassembler tout ce qui est épars. Par conséquent, je demande personnellement aux présidents Denis Sassou Nguesso – l’aîné que je reconnais comme tel – et Joseph Kabila de pendre en compte, dans les relations entre nos deux pays, la dimension étatique en vue du plus grand bienfait de nos populations.

2. Approuvez-vous la démarche des autorités de Kinshasa qui ne recherchent que des issues diplomatiques et pacifiques à cette opération au lieu d’une réplique musclée, comme le souhaite la population ?
Nos 50 000 expulsés en trois semaines représentent, aux dires de Lambert Mende, le porte-parole du gouvernement de Kinshasa, 5 à 8 % seulement de nos ressortissants vivant au Congo-Brazzaville dont les documents administratifs ne sont pas en règle. Pays souverain, le Congo-Brazzaville est en droit de décider librement de sa politique en matière d’immigration. De ce fait, la position de Kinshasa est compréhensible. On ne résout pas les rapports entre Nations par la passion. La fraternité entre nos deux peuples nécessite que les expulsions se fassent dans le respect des droits fondamentaux de la personne humaine. En effet, nos dirigeants respectifs doivent avoir présentes à l’esprit les obligations morales qui cimentent nos relations. La concorde régionale doit être prise en compte dans l’amélioration et la poursuite d’un bon voisinage. Aucune entrave à ce principe ne doit donc être tolérée. Les dirigeants de nos pays doivent sans arrêt chercher la vérité en vue de la solidarité. La violence n’a jamais rien arrangé. Dans ce moment difficile, nos cœurs devront plutôt se rapprocher en même temps que nos mains pour que la grandeur de ce geste et son sens profond puissent lier davantage nos deux peuples dans le temps présent et dans le futur. La diplomatie et les échanges commerciaux doivent rapprocher encore plus nos populations respectives. Il faudra travailler sans relâche à conserver les liens millénaires ayant toujours unis les Congolais de Brazzaville et ceux de Kinshasa.

3. Les tortures, les tueries, les insultes, les vols, les viols…Les RD Congolais ne sont-ils pas devenus  la risée du monde et de l’Afrique ?
Tout en n’étant pas mobutiste, je reconnais que, sous le règne du maréchal Mobutu, nous n’avons jamais été humiliés de la sorte par nos voisins. C’est l’absence de l’Etat qui fait que nous soyons devenus la risée de tout le monde. Nos voisins ne nous prendrons en considération que lorsque nous nous respecterons nous-mêmes. Ainsi devons-nous bâtir un Etat de droit et tabler nos relations avec les pays limitrophes sur la base du droit international.

4. En tant qu’acteur politique RD Congolais , quelles mesures préconiseriez-vous pour répondre à ces pratiques barbares qui n’honorent pas le genre humain ? 
Seules la tolérance mutuelle, ainsi que le respect des autres et de soi-même faciliteront les échanges commerciaux entre Kinshasa et Brazzaville. Ils permettront une complicité, sur le plan diplomatique, entre nos deux pays dans les différentes initiatives d’ordre régional. Il faudra surtout éviter les actions susceptibles d’amplifier le climat de défiance, ou d’hostilité, comme l’opération qui vient d’être diligentée contre nos concitoyens. Par conséquent, tout doit être entrepris en vue des réparations inhérentes aux biens mobiliers et immobiliers, ainsi qu’à la torture morale. Brazzaville devra régler de manière politique tout problème d’ordre économique, et selon la Convention de Genève, tout contentieux relevant du droit l’asile.

5. Comment interprétez-vous l’indifférence de la communauté internationale et le silence des médias occidentaux devant ces actes ignominieux ?
La communauté internationale a d’autres chats à fouetter en ce moment, notamment en Ukraine. Elle est très occupée par l’éventualité de la candidature de Bachar El Assad à la prochaine élection présidentielle en Syrie. Les médias occidentaux sont focalisés sur les élections européennes. En France, l’avènement de Manuel Valls est encore d’actualité et les tristes événements de Bangui mobilisent la politique africaine. Je suis de ceux qui pensent que les Congolais sont les premiers gardiens de leurs intérêts. Raison pour laquelle je déplore le silence de notre Parlement, face aux tergiversations du gouvernement dans la résolution du refoulement de nos compatriotes.

Propos recueillis par Robert Kongo, correspondant en France

Gaspard-Hubert Lonsi Koko,
porte-parole du Rassemblement pour le Développement et la Paix au Congo (RDPC).