Très
récemment, le député national Delly Sesanga a retiré sa
proposition de modification de la loi électorale. Le président du
parti politique Envol
a accusé le bureau de l’Assemblée nationale d’avoir apporté
des ajouts, sans le consentement de l’auteur de ce texte, qui
modifient la substance même de la proposition. « La
situation est très grave pour notre démocratie »,
a-t-il déclaré après avoir déposé la lettre par laquelle il
retirerait son projet de modification de la loi électorale en
vigueur.
Aux dires le député national Delly Sesanga, ces ajouts
concernent les conditions d’éligibilité, le mode de scrutin et le
mode de représentativité de certaines catégories de citoyens.
Ainsi risquent-ils de faire reporter les prochaines élections, car
« la
supposée proposition, telle qu’elle est distribuée par le bureau
[de la chambre basse, ndlr], comporte notamment l’abrogation de
l’obligation de pouvoir procéder à l’enrôlement des électeurs
avant d’organiser les cycles électoraux, et entraîne de ce fait
le glissement du calendrier électoral de 2016 jusqu’à des années
où ils auront achevé le recensement des électeurs ».
Cette pratique, qui plus est très courante en République
Démocratique du Congo, renvoie ipso
facto
aux subterfuges ayant porté atteinte aux processus relatifs à la
décentralisation, à la Loi fondamentale, à la séparation des
pouvoirs, aux droits fondamentaux, à la cohésion nationale...
La
décentralisation
L’article
3 de la Constitution adoptée le 18 février 2006 a opté pour la
décentralisation comme mode de gestion de certaines entités
territoriales de la République Démocratique du Congo. Ainsi la Loi
organique n° 08/016 du 07 octobre 2008 portant composition,
organisation et fonctionnement des Entités Territoriales
Décentralisées et leurs rapports avec l’État et les Provinces
a-t-elle stipulé dans l’article 2 du titre 1er
relatif aux dispositions générales : « La
République Démocratique du Congo est composée de la ville de
Kinshasa et de 25 provinces dotées de la personnalité juridique. »
Cette
loi organique, promulguée le 1er
août 2008 par le président de la République en prévision de la
volonté du législateur, a donc confirmé le découpage du
territoire congolais en 26 provinces conformément à l’article 2
de la nouvelle Constitution évoquée supra,
celle-ci ayant prescrit la mise en place dans les 3 années qui
devaient suivre l’installation des institutions issues des
élections. Aussi, l’élection des honorables sénateurs et celle
des députés provinciaux se sont-elles effectuées sur la base des
26 provinces, inexistantes à l’époque mais devant être
effectives en 2009.
Depuis ces élections, en dépit de l’expiration des mandats et de
la carence constatée – par le magistrat suprême – dans la
matérialisation du passage des 11 provinces actuelles à 26, ces
institutions n’ont jamais été renouvelée. Le caractère
anticonstitutionnel de la chambre haute et des parlements de
provinciaux, à l’exception des élus de la ville de Kinshasa et de
la province du Bas-Congo, a laissé de marbre les acteurs politiques
de la majorité présidentielle et de la l’opposition.
Dans
l’absolu, en ayant fait le choix de rester sur la base des 11
provinces, le nombre de sénateurs aurait dû être réduit à 44 en
raison de 4 sénateurs par province. Cela aurait eu au moins le
mérite de maîtriser l’aspect budgétivore à propos du
fonctionnement du sénat et d’introduire la notion d’équité
entre les provinces. Quant au nombre de députés provinciaux, il
aurait aussi dû être revu à la baisse dans les provinces
concernées par le découpage territorial. En guise de réponse à
cette incohérence, la majorité présidentielle a préféré
tripatouiller, avec la complicité de quelques élus de l’opposition,
les dispositifs constitutionnels.
La
décentralisation doit en principe avoir pour préoccupation
majeure le management territorial, le partage des responsabilités
politiques, économiques, sociales, culturelles ainsi que du fardeau
fiscal entre l’État et les collectivités publiques locales pour
mieux servir les citoyens et garantir leur épanouissement
individuel et leur essor collectif. À cet effet, l’État devra
être présent là où vit quotidiennement le citoyen pour lui
procurer protection et services publics adéquats.
La
révision constitutionnelle
Après
avoir ramené le scrutin présidentiel des deux tours à un seul en
2011, l’assemblée nationale congolaise a de nouveau présenté,
dans sa session du 15 mars 2014, des propositions en vue de la
révision constitutionnelle. Celles-ci ont porté, entre autres, sur
le processus de décentralisation. En effet, la chambre basse a été
saisie par les députés de la majorité présidentielle favorables à
la suppression de l’énumération des 26 provinces, figurant dans
l’article 2 de la Constitution, et des 40 % de recettes alloués
aux provinces conformément à l’alinéa 2 de l’article 147. Une
autre proposition introduite à cette occasion se rapportaient à la
désignation des gouverneurs par le parti politique, ou la coalition,
majoritaire aux assemblées provinciales et non plus par les députés
provinciaux.
Par
ailleurs, on ne peut que constater le caractère anticonstitutionnel
du projet de révision constitutionnelle en cours, car elle viole
l’article 220 qui stipule : «
la forme républicaine de l’État, le principe du suffrage
universel, [...] l’indépendance du pouvoir judiciaire ne peuvent
faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle ».
Le même article insiste sur le fait qu’« est
formellement interdite toute révision constitutionnelle ayant pour
objet ou pour effet [...] de réduire les prérogatives des provinces
et des entités territoriales décentralisées ».
En principe, les parlementaires et partis politiques doivent jouer
leur rôle s’agissant de la promotion de la bonne gouvernance et le
peuple congolais assumer concrètement, d’une manière ou d’une
autre, sa souveraineté au cas où les parlementaires bafoueraient
les lois fondamentales de la République.
Compte
tenue de l’incessante crise politique et de l’illégitimité des
institutions étatiques, il est judicieux de réviser la Constitution
afin de réintroduire le scrutin présidentiel à deux tours. De
plus, ce système permettra non seulement aux électeurs de se
prononcer en faveur de leur candidat(e) préféré(e) une deuxième
fois, ou même de changer d’avis quant à leur préférence entre
le premier et le second tour, mais aussi aux partis politiques et à
l’électorat de s’ajuster aux éventuels changements de
l’environnement politique entre les deux tours de scrutin. Cela est
aussi nécessaire afin d'harmoniser la Constitution du 18 février
2006, dont quelques dispositifs relèvent soit des lois
d’application, soit des lois organiques.
Il
faudra en effet approfondir la démocratie politique, consolider les
prérogatives étatiques dans certains domaines. Par conséquent,
on ne peut faire l’économie de la IVe
République pour une réforme profonde du pays. De plus, il est
indispensable de conforter les acteurs sociaux, de permettre aux
citoyens d’être écoutés et actifs, et de doter les élus du
peuple d’un véritable statut.
L’indépendance
du pouvoir judiciaire
Dans
un passé proche, plusieurs autres modifications touchant à divers
organes juridiques ont apporté aux dispositifs constitutionnels,
notamment celle de la composition du Conseil Supérieur de la
Magistrature. S’agissant de l’organisation et de l’exercice du
pouvoir, la volonté de contrer toute tentative de dérive
dictatoriale figurait parmi les préoccupations majeures du
législateur. Or, en ayant fait présider le Conseil Supérieur de la
Magistrature par le chef de l’État, la majorité présidentielle a
tout simplement opté pour les incohérences d’un régime
autoritaire. Pis encore, faire siéger des non magistrats dans cette
institution, cela revient à renouer avec le système mobutiste
qui avait fait main-basse, grâce au clientélisme, sur le pouvoir
judiciaire.
Il
faudra plutôt appliquer rigoureusement le principe de séparation
des pouvoirs pour libérer le corps judiciaire de l’emprise de
l’Exécutif, introduire au Parlement des lois organiques dans le
but de renforcer le Conseil Supérieur de la Magistrature ainsi que
la Cour constitutionnelle. Cela nécessitera une sorte
d’aggiornamento
du
système judiciaire afin que ceux qui disent le droit puissent
satisfaire les attentes des justiciables. Il faudra surtout amender
de nouveau la présente Constitution pour réaffirmer l’indépendance
du pouvoir judiciaire, dont les membres seront gérés par le Conseil
Supérieur de la Magistrature composé des seuls magistrats.
L’objectif, c’est de rendre la justice indépendante, impartiale
et intègre. Dans l’idéal, seuls les magistrats devront siéger au
Conseil Supérieur de la Magistrature conformément au modèle de la
cour suprême des États-Unis d’Amérique.
Dans
le même ordre d’idées, il faudra surtout éviter que le Parlement
reste un organe d’État chargé de défendre seulement les
intérêts partisans ou corporatistes. Au contraire, il doit être
transformé en un lieu des débats démocratiques et, surtout, en
un pouvoir institutionnel représentant politiquement le peuple et
les citoyens. La composition et les attributions du nouveau
Gouvernement Matata Ponyo doit inciter à ce que les
attributions du Parlement soient renforcées dans l’intérêt
supérieur de la Nation pour assurer étroitement le contrôle de
l’exécutif gouvernemental et de l’État, la bonne gouvernance
politique et la transparence administrative dans le cadre de la IVe
République.
Les
droits fondamentaux
L’emprisonnement
de quelques opposants non corrompus, les arrestations arbitraires des
journalistes respectueux de la déontologie et des acteurs intègres
de la société civile, la partialité de la Commission électorale
nationale indépendante (CENI), les injustices sociales et le
clanisme dans la gestion de la chose publique amplifient davantage la
crise constitutionnelle et institutionnelle en cours. Le non-respect
de droits fondamentaux ne cesse donc d’hypothéquer l’avenir du
pays. Les violations des droits de l’Homme ainsi que des libertés
publiques et démocratiques énoncés par la Constitution du 18
février 2006 et les traités internationaux dûment signés par
la République Démocratique du Congo doivent être respectés par
le Gouvernement pour sauvegarder la dignité de la personne humaine.
De nouvelles dispositions doivent être
adoptées pour combattre l’esclavage moderne, la traite humaine et
l’exploitation sexuelle des plus faibles ou plus vulnérables. Un
dispositif pénal fortement répressif doit être adopté en
urgence dans le but de punir les auteurs des violences sexuelles dont
sont cruellement victimes les femmes et les enfants.
Toutefois,
après le temps des guerres, il est nécessaire de bâtir la paix
des cœurs. Malgré les atrocités commises sur le territoire
national, le Gouvernement congolais doit saisir le Parlement d’une
demande d’abolition de la peine de mort pour tous les crimes et
d’une demande d’inscription sur les textes pénaux de la
condamnation à perpétuité à l’encontre des criminels.
La
cohésion nationale
Pour
permettre la réconciliation nationale, il faudra une dimension
humaniste. En conséquence, le fait de rendre caduque la loi
d’amnistie pour faits de guerre et insurrectionnels permettra,
d’une part, aux tribunaux locaux de juger les auteurs de crimes de
guerre et crimes contre l’Humanité ayant violé l’article 52
de la Constitution du 18 février 2006 ; d’autre part, de garantir
l’indemnisation des victimes. Ainsi sera-t-il important
d’encourager la justice transitionnelle susceptible de s’atteler
aux problèmes des crimes commis pendant et après les différentes
guerres, en amont de toutes modalités pour la réconciliation
intercommunautaire. Dans cette optique, il faudra aussi
initier la mise en place d’un organe d’audit indépendant qui
aura en charge l’enregistrement des plaintes pour violation des
droits humains, dans le cadre de l’élaboration des plans d’action
globaux pour la paix dans la partie orientale du pays, en
collaboration étroite avec les instances internationales. Il faudra
enfin instaurer un Tribunal Pénal pour la République
Démocratique du Congo (TPRDC) et collaborer avec la Cour Pénale
Internationale pour les cas qui relèvent de cette institution.
L’implication
effective du souverain primaire
Le
peuple congolais, dont les intérêts doivent obligatoirement primer,
est condamné, en tant que souverain primaire, à prendre son destin
en main. Par conséquent, il doit obliger l’autorité compétente à
clarifier dans l’urgence la situation actuelle des parlements
provinciaux concernés par le découpage territorial et du sénat au
regard de la Constitution. Dans cette optique, les Congolaises et aux
Congolais doivent consolider leur devoir de vigilance par rapport au
respect des lois fondamentales de la République et à la
non-modification des articles 101 alinéa 6, 104 alinéas 5 et 8, 197
alinéa 4 et 198 alinéa 2 relatifs aux élections des députés
provinciaux, sénateurs et gouverneurs de provinces pour éviter
l’introduction du suffrage universel indirect. De plus, le suffrage
universel direct ne pourra que confirmer l’impopularité de la
majorité présidentielle à l’issue des élections locales,
régionales, provinciales et sénatoriales. Il va falloir assurer,
dès maintenant, les chances de la victoire de l’opposition aux
élections législatives et présidentielle de 2016.
Le
peuple doit aussi obliger le Gouvernement à saisir la Cour
Internationale de Justice (CIJ), s’il le faut, s’agissant des
États impliqués dans les différentes tentatives de
déstabilisation de la République Démocratique du Congo. En tout
cas, Les Congolaises et les Congolais doivent contraindre les
autorités à créer un Haut conseil de l’unité du pays, de
la concorde politique et de la réconciliation nationale dans le
but de réunifier et de réconcilier les populations.
Enfin,
le peuple congolais doit agir « avec force et vigueur »
pour que la démocratie soit réellement pratiquée et repose
essentiellement sur l’affirmation de la liberté en tant que
principe directeur de la société et de la justice comme socle des
rapports entre l’État et les citoyens. Le Gouvernement devra
renforcer le caractère participatif de la démocratie nationale
dans le dessein de consolider l’appartenance à la communauté
nationale et, par conséquent, de garantir l’harmonie sociale et
la paix publique. Seuls un patriotisme sans faille et une réelle
volonté politique garantiront un État de droit, la stabilité et
l’indivisibilité de la République Démocratique du Congo.
Gaspard-Hubert
Lonsi Koko