Au regard
de l’incertitude politique en cours en République Démocratique du
Congo, le Premier Vice-Président de l’Alliance de Base pour
l’Action Commune (ABACO) a bien voulu donner son point de vue à
l’attention de l’opinion tant nationale qu’internationale. À
travers cet exercice, avec le talent et la franchise qu’on lui
reconnaît, Gaspard-Hubert Lonsi Koko clarifie quelques zones d’ombre
qui ont incité son parti politique à ne pas cautionner toute
démarche allant contre les intérêts des populations congolaises.
Sur un bon
nombre d’espaces sociaux, s’agissant du Dialogue national
politique en cours en République Démocratique du Congo, vous avez
déclaré ceci : « Un
monologue politique inclusif sous la houlette d’une facilitation
exclusive ».
Pourriez-vous expliciter votre pensée ?
Le décret
présidentiel portant convocation d’un dialogue politique national
inclusif s’était appuyé notamment, entre autres dispositifs, sur
les articles 69, 79 et 91 de la Constitution de notre pays, et aussi
sur les dispositions de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba du 24
février 2013 pour la paix, la sécurité et la coopération pour la
RDC ainsi que sur la résolution n° 2098/2013 adoptée le 28 mars
2013 par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Ce décret
spécifiait que le dialogue serait précédé d’un Comité
préparatoire qui serait composé, comme le Dialogue proprement dit,
des délégués de toutes les parties prenantes – à savoir la
Société civile, la Majorité présidentielle et l’Opposition
politique –, placés sous la Co-modération de deux représentants
appartenant respectivement à la Majorité et à l’Opposition
politique.
Quel est,
alors, l’élément fondamental qui vous a poussé à parler d’un
monologue inclusif à caractère exclusif ? Est-ce de la faute
de la majorité kabiliste si une partie de l’opposition refuse de
prendre part au dialogue ?
Au-delà de
la figure du style, je suis un homme des lettres, l’oxymore entre
inclusif et exclusif me sert à montrer les contradictions flagrantes
ayant dès le départ vicié l’issue du dialogue proposé par le
président de la République Démocratique du Congo.
Primo,
le bon sens aurait voulu que la composition du Comité préparatoire
se borne à des spécialistes internationaux et africains en matière
de paix et de résolution des conflits. Cette neutralité aurait
permis, dans l’absolu, la déclinaison d’un canevas non perverti
en vue des travaux du Dialogue national politique proprement dit.
Secundo,
l’Opposition politique a judicieusement posé quelques préalables
relatifs à la libération des prisonniers politiques et au fait que
le Comité préparatoire prenne en compte la résolution 2277 des
Nations Unies du 29 mars 2016 et les dispositifs constitutionnels
relatifs au mandat du président de la République. Malheureusement,
la Majorité présidentielle ne fournit aucun effort pouvant aller
dans le sens de la décrispation.
Tertio,
certains partis politiques de l’opposition, officiellement reconnus
par le ministère de l’Intérieur, qui ont manifesté leur volonté
de participer aux travaux du Dialogue national politique souhaité
par le président de la République, ont été ignorés au profit de
quelques individus débauchés dans quelques structures dans le but
de fragiliser pour mieux imposer un gouvernement de transition sous
la direction du président de la République ne pouvant plus
constitutionnellement rempilé. Quelle place fallait-il réservée
aux chefs coutumiers ? Et la diaspora, dans tout cela ?
Tous les
éléments évoqués ci-dessus montrent qu’il s’agit en réalité
d’un monologue incluant les opposants à la solde du régime
kabiliste et excluant ceux qui sont censés défendre, en cas de
participation, les intérêts collectifs au détriment des intérêts
privés.
Je
vous cite : « Per-diem, corruption tacite. Aubaine pour
les politiciens véreux et une société civile clientéliste. »
Dialogue politique national en RDC ?
Je pars du
principe que le patriotisme étatique, surtout dans un contexte où
le gouvernement évoque la carence budgétaire s’agissant de son
incapacité à donner à la Commission nationale indépendante et
électorale (Céni) les moyens financiers en vue de l’organisation
des scrutins dans le délai constitutionnel, devrait prendre le
dessus sur l’esprit de lucre. Accepter le per-diem dans pareilles
circonstances s’apparenterait à une quelconque connivence avec
ceux qui souhaiterait faire un coup d’État constitutionnel pour se
maintenir à jamais au pouvoir. Personne n’ignore que le maintien
de Joseph Kabila à la présidence de la République permettra aux
personnes élues dans les institutions étatiques de prolonger
automatiquement leurs mandats, sans passer par les urnes. Combien
d’opposants ont-ils dénoncé le glissement, sans pour autant
quitter les institutions ayant glissé ? Voilà le point commun,
donc le terrain d’entente, entre les opposants institutionnels et
la majorité présidentielle. Cette communauté d’intérêts se
fait aux dépens des populations congolaises, c’est-à-dire au
profit de la privatisation de la chose publique.
Que
reprochez-vous, au juste, à la communauté internationale ?
Pourquoi me
posez-vous cette question ? Soyez plus précise, s’il vous
plaît !
« L’article
64 [de la Constitution congolaise, ndlr] permet de s’affranchir de
la communauté internationale, et de ses valets internes et
régionaux. »
Telle est l’une de vos déclarations récentes. Pensez-vous que la
communauté internationale est la cause de tous les problèmes
auxquels la RDC est confrontée ?
Je
vous rappelle que l’insécurité en RDC dure depuis 1977, soit plus
de 19 ans. Et se trouve sur le territoire congolais le plus gros
contingent armé des Nations Unies. Au moins 22016 personnes, si j’ai
bonne mémoire. Sans compter que le fonctionnement du Mécanisme
national du suivi et de supervision de la mise en œuvre des
enseignements souscrits aux termes de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba,
spécialement en son article 2, n’a donné aucun résultat probant.
Le
triste constat, au regard de l’insécurité croissante à l’Est
de la RDC, ne peut qu’inciter plus d’un observateur sérieux à
s’interroger sur le véritable rôle des forces onusiennes dans le
territoire congolais ou alors sur sa détermination à rétablir
réellement la paix dans une partie de la région des Grands Lacs.
L’attitude de la MONUSCO ne doit surtout pas exonérer Kinshasa de
ses responsabilités régaliennes, ni encourager les pays limitrophes
– notamment le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi – à soutenir la
déstabilisation de l’Est de la RDC, voire à procéder à un
paillage organisé des ressources congolaises au profit de leurs
parrains extracontinentaux et à dépeupler par tous les moyens la
région du Kivu en vue d’une expropriation sur le plan foncier.
Ce
triste constat laisse donc supposer un complot international contre
la RDC. Par conséquent, seules les populations congolaises peuvent
mettre un terme à une volonté manifeste de faire main basse sur
leurs richesses et d’hypothéquer leur avenir collectif. L’article
64 de la Constitution de 2006 leur permet ainsi de neutraliser les
valets internes et régionaux des puissances extérieures mues par
l’intention d’enrayer définitivement la RDC de la carte
géographique terrestre.
Il
est du devoir de l’acteur politique, de surcroît patriote,
d’éveiller la conscience de ses compatriotes en vue d’un Congo
économiquement viable et étatiquement démocratique. Je ne suis
nullement contre la communauté internationale. Je ne fais que
défendre les intérêts de mon peuple, et veiller à l’intégrité
de la terre de nos aïeux que nous lèguerons aux futures
générations. J’œuvre pour nos enfants et nos petits-enfants.
Vous
avez pourtant laissé supposer que « la
RDC est une affaire juteuse pour la Communauté internationale et ses
valets, et un enfer pour les populations congolaises ».
Il
suffit de vous référer au pillage des ressources naturelles de la
RDC. N’avez-vous jamais vu des reportages ou lu des articles sur
les minerais de sang ? N’êtes-vous pas au courant des
violences sexuelles, ainsi que des crimes de guerre et des crimes
contre l’Humanité dans la région du Kivu ? Comment se
fait-il qu’un pays non producteur de coltan, comme le Rwanda, soit
devenu le premier exportateur de ce minerai ? Ce pillage ne peut
être possible que grâce à des complicités locales, nationales et
régionales. Les populations congolaises doivent-elles être sans
cesse les dindons de la farce ? Je dis catégoriquement NON. Le
peuple congolais, de par les ressources naturelles dont regorge la
RDC, a droit au paradis et non à l’enfer.
Pourquoi
dites-vous que le Facilitateur Edem Kodjo est sur les traces du
présidium des concertations nationales de 2013 ?
Je
constate seulement que l’articulation du Comité préparatoire du
Dialogue politique national a suivi le même processus qui avait
prévalu dans la mise en place du présidium, avec le tandem Léon
Kongo wa Dondon et Aubin Minaku, ayant piloté les précédentes
concertations nationales. On sait que le gouvernement soi-disant de
cohésion nationale, issue des assises de 2013, a accouché d’une
souris. Malheureusement, on n’a pas besoin d’être savant pour
comprendre que les mêmes erreurs aboutissent aux mêmes résultats.
Ce
que l’on reproche à Edem Kodjo, c’est d’être plus partisan
que Facilitateur. L’inclusivité pour lui, c’est de s’aligner
sur la seule position favorable à la Majorité présidentielle. Le
fait de lui accorder un quota d’une trentaine de personnes lui
laisse d’ailleurs la liberté de coopter, à sa guise, les
opposants exclus des partis politiques de l’opposition. Il s’agit,
à travers une telle largesse, d’une manière peu orthodoxe
susceptible de créer davantage la zizanie, en compliquant encore
plus une situation déjà complexe. Il se pose, en tout cas, la
question des critères ayant prévalu dans le choix de délégués.
Un Facilitateur ne doit pas mettre de l’huile sur le feu. En
agissant de la sorte, il ne fera qu’attiser le volcan dont la
coulée de lave éclabousse l’ensemble de la région des Grands
Lacs et de l’Afrique centrale. Aucun humaniste ne peut rester
insensible à une telle éventualité.
À
vous écouter, on a l’impression que la RDC est en proie à « un
bordel national ». Si tel est le cas, faudrait-il faire le
ménage ? Dans l’affirmative, comment procéder pour rétablir
l’ordre ?
Ce
bordel national ne date pas d’aujourd’hui. Depuis 2001, la RDC a
toujours été déstabilisée par la crise politique et l’insécurité
qui ont complètement fragilisé les institutions étatiques. Face à
l’échec patent de la classe politique, présente dans les
institutions de la République, quelle possibilité a-t-on pour
rétablir l’ordre constitutionnel et l’autorité étatique ?
Ainsi revient-t-il aux populations congolaises, et non à la
communauté internationale et à ses valets, de l’intérieur comme
de l’extérieur, de prendre en main leur destin. Les articles 23,
24, 25, 26, 27, 28, 39, 60, 63, 64, 215 et 220 de la Constitution de
2006 permettent plus ou moins au peuple congolais, en tant souverain
primaire, de défendre l’intégrité territoriale, de faire échec
à tout individu ou groupe d’individus qui prendrait le pouvoir par
la force ou l’exercerait en violation des dispositifs
constitutionnels…
Propos
recueillis par Charlotte Mondo
© Agoravox