N’étant parvenues jusqu’à présent à maintenir la paix dans la région du Kivu[1],
les Nations Unies tentent de déployer sur place une brigade
d’intervention rapide dont l’action serait appuyée par des drones. Mais
Ban-Ki-moon devra tout d’abord obtenir des dirigeants de la région des
Grands Lacs et de l’Afrique australe la signature d’un accord-cadre pour
la paix et la sécurité en République Démocratique du Congo.
Entre-temps, la situation humanitaire se dégrade sur le plan national :
plus de 52 400 cas de choléra, dont 1 293 décès et environ 73 794 cas de
rougeole avec 2 023 décès, selon l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) ; distribution des vivres à plus de 100 000 personnes à Goma et
ses environs et une foire aux biens non alimentaires au profit de 5 000
personnes dans le Lubero, selon le Programme alimentaire mondial (PAM).
Pendant ce temps le Katanga[2], une autre province de la République Démocratique du Congo, est à son tour en proie aux agressions de groupes armés.
La mauvaise foi des agresseurs
Pour détourner l’attention de l’échec patent des pourparlers de Kampala, le médiateur, en l’occurrence le président ougandais Yoweri Kaguta Museveni,
soutenu par les pays de la Conférence internationale de la région des
Grands Lacs (CIRGL) et ceux de la Communauté de développement d’Afrique
australe (SADC), s’est en pris violemment aux forces onusiennes
auxquelles il a reproché, non seulement de s’adonner au tourisme militaire, mais surtout d’être incapables de rétablir la paix dans la région du Kivu. Cela a abouti au renvoi sine die de la signature d’un accord-cadre régional sur la paix en République Démocratique du Congo.
Quant au président rwandais, Paul Kagame, il
est tout à coup devenu amnésique. Reniant son implication dans la
déstabilisation de la région du Kivu, il ne cesse de clamer que son pays
et la RD Congo, contraints de vivre ensemble dans la région des Grands
Lacs, doivent être tournés vers l’avenir et trouver des solutions
appropriées. Ainsi espère-t-il pouvoir tourner la page, sans rendre des
comptes pour le génocide congolais et le pillage des ressources naturelles du Kivu, dont il est l’un des principaux initiateurs.
Pour ce qui est du Mouvement du 23 mars (M23), il juge le rapport des experts[3] des Nations Unies[4] « cruellement partial et peu professionnel, car il contient des éléments incompatibles et incohérents ». Dans la même optique, le M23 conteste le rapport de Human Rights Watch (HRW) qui l’accusait en mi-septembre 2012 de « crimes de guerre commis à grande échelle, y compris d’exécutions sommaires, de viols et des recrutements de force ». Ainsi Jean-Marie Runiga,
dénonce-t-il la partialité des enquêteurs de ces organisations et les
escobarderies dont est entaché leur travail. À cet effet, le dirigeant
du M23 le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, à « rejeter purement et simplement les requêtes de Human Rights Watch et celles des experts de Nations Unies », et à « reconsidérer toutes les décisions prises » dans la mesure où lesdits rapports sont « politisés » et « erronés »[5].
La méthodologie du groupe des experts onusiens
Répondant aux questions de la journaliste belge Colette Braeckman[6], Steve Hege[7]
a mis l’accent sur la méthodologie très rigoureuse ayant privilégié les
informations recueillies auprès des témoins directs des événements qui
sont à la base du rapport des Nations Unies. Les experts onusiens ont
interrogé plus de cent anciens combattants du M23, dont 57 qui ont
déclaré être des citoyens rwandais. Ces derniers ont insisté sur le
soutien du Rwanda aux agresseurs. Ces informations ont ensuite été
confrontées à plus d’une centaine émanant de dirigeants locaux, de
commerçants, de simples paysans, d’anciens officiers de l’armée
rwandaise, ainsi que d’anciens officiers du Congrès national pour la
défense du peuple (CNDP). Des membres actifs du M23 ont aussi reconnu le
soutien du Rwanda à leur mouvement, témoignages qui ont été confirmés
lors de sept visites au Rwanda[8]. Enfin, les services de renseignements de l’Ouganda, du Burundi, de pays occidentaux[9] ainsi que du gouvernement congolais ont confirmé les faits allégués par les différents témoignages.
Les prochains épisodes
Christophe Rigaud estime que l’échec annoncé de Kampala « risque
de donner lieu à un scénario en deux actes : tout d’abord une reprise
des affrontements autour de Goma et Bukavu et, ensuite, un second round
de négociations, où, en plus du Rwanda et de l’Ouganda, on risque de
retrouver l’Afrique du Sud, la Tanzanie et le Congo-Brazzaville à la
manœuvre »[10].
L’échec des pourparlers de Kampala était prévisible, compte tenu de la
partialité du médiateur. Ainsi Kinshasa avait-il intérêt à ne pas sécher
les travaux programmés dans la capitale ougandaise, au risque de ne
pouvoir se défendre contre les accusations à propos des maux dont
souffrant la RD Congo. L’objectif de la délégation gouvernementale
devait consister, dans un premier temps, à rester ferme sur le fait que
les problèmes internes seraient débattus dans le cadre du dialogue
intercongolais. Dans un second temps, Kinshasa devait faire en sorte que
rien ne soit réglé à Kampala – l’objectif étant de délocaliser lesdits
pourparlers à Brazzaville ou à Luanda – et d’empêcher que la Tanzanie,
ou l’Afrique du Sud, prenne la tête d’une quelconque force neutre dans
le cadre de prochaines opérations militaires dans le Kivu. En tout cas, à
propos de l’alternative au guet-apens évité de justesse en Ouganda, la
diplomatie congolaise doit s’ingénier pour que les prochains épisodes
lui soient favorables.
Gaspard-Hubert Lonsi Koko
© Jolpress
À lire aussi :
Notes :
[1] Plus de dix années d’engagement en RD Congo.
[2]
La très riche région minière du Sud-Est. Effectivement, les populations
sont obligées de fuir des accrochages de plus en plus fréquents dans le
Nord-Katanga.
[3]
Rappelons que ce Groupe d’experts est composé de 6 membres, chacun
nommé par le Secrétaire général des Nations Unies après une évaluation
par le Secrétariat ainsi que par les quinze pays membres du Conseil de
sécurité. Les membres sont des enquêteurs et chercheurs indépendants
avec une expérience technique dans les différents domaines spécifiques
du mandat – notamment les enquêtes sur l’approvisionnement en armes, le
financement des groupes armés, le commerce des ressources naturelles,
les violations graves des droits de l’Homme, et les problématiques
transfrontalières.
[4]
Ce rapport des experts des Nations Unies, qui a été publié fin 2012,
accuse le Rwanda et l’Ouganda de soutenir le M23 à qui les Nations Unies
imputent de graves exactions (viols, assassinats, recrutement forcé des
enfants...).
[5]
Le Conseil de sécurité des Nations Unies a gelé les avoirs et interdit
de voyage les responsables du M23, dont Jean-Marie Runiga et le général
Sultani Makenga, chef militaire du mouvement.
[7]
L’un des experts des Nations Unis ayant diligenté les enquêtes
relatives au rapport dénonçant l’implication du Rwanda, du Burundi et de
l’Ouganda dans la déstabilisation de la RD Congo.
[8]
Ces voyages ont été souvent effectués dans le cadre de l’enquête sur le
recrutement de civils pour le M23. Ils concernaient notamment l’hôtel
Bushokoro à Kinigi (cf. annexe 19 du rapport onusien).
[9] Cf. annexe 22 du rapport onusien.
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