Cinq questions à Gaspard-Hubert Lonsi Koko (*)
1. Quel regard portez-vous sur la crise institutionnelle qui secoue actuellement la Côte d’Ivoire ?
Dès lors qu’il s’est posé la question de la validité juridique au regard du délai légal, le Conseil constitutionnel a automatiquement pris le relais. S’agissant des fraudes, cette institution a déclaré « avoir constaté des irrégularités graves de nature à entacher la sincérité du scrutin et à en affecter le résultat d’ensemble ». Fallait-il pour autant reconnaître Laurent Gbagbo comme le président nouvellement élu ? D’après l’article 64 du code électoral ivoirien, on aurait dû prononcer l’annulation du scrutin pour permettre au Conseil des ministres de fixer par décret, sur proposition de la Commission chargée des élections, la date de l’élection dans les 45 jours à compter de la décision du Conseil constitutionnel. Mon regard privilégie donc des voies et moyens en vue d’une sortie de crise.
2. Comment expliquez-vous ce soutien clairement affiché de l’Union africaine et de la communauté internationale à Alassane Ouattara ?
Le Conseil constitutionnel est l’organe habilité à investir le président de la République ivoirienne. Alassane Ouattara le sait très bien, car il a prêté serment, par écrit, auprès de cette institution. Seulement, celle-ci a déjà reconnu le candidat Gbagbo comme magistrat suprême. Rappelons que la décision du Conseil constitutionnel est sans appel. Les arguments avancés par les différents antagonistes laissent supposer l’existence d’un vide juridique. Dans l’affirmative, la décision du Conseil constitutionnel devra faire d’office jurisprudence. Gbagbo est-il l’homme à abattre ? Il faut savoir que les Nations unies ont toujours recherché un « règlement pacifique », conformément au chapitre VI de la Charte qui les régit. C’était le cas notamment en République démocratique du Congo, s’agissant des affrontements entre les rebelles de Laurent Nkunda et l’armée nationale congolaise. Mais les Nations unies peuvent aussi passer outre le principe de non-intervention dans les affaires intérieures d’un État, conformément aux articles 39 et 42 du chapitre II de sa Charte, en ayant recours, comme le préconise l’article 41 du chapitre VII, à des mesures non militaires (embargo, sanctions économiques) pour faire pression sur les partisans de Laurent Gbagbo. En tout cas, il se pose, sur le fond, le problème de la souveraineté d’un État. La communauté internationale ne peut pas agir n’importe comment par crainte d’empiéter sur les affaires intérieures de la Côte d’Ivoire. Si elle intervient militairement, elle risque de matérialiser pour très longtemps la balkanisation de ce pays.
3. Laurent Gbabgo a-t-il été piégé en ayant accepté d’organiser cette élection ?
Sachant très bien qu’il n’était pas soutenu par la communauté internationale, Laurent Gbagbo n’aurait pas dû organiser l’élection sans que l’État soit présent dans l’ensemble du territoire. Cela n’a pas permis à ses partisans de mieux surveiller le déroulement du vote au Nord. Mais s’il ne l’avait pas fait, on l’aurait accusé de vouloir confisquer le pouvoir. À mon avis, il a eu raison de recourir aux urnes. Son plus grand tort, c’était d’avoir cru qu’il allait bénéficier au second tour de l’électorat de Konan Bédié au détriment d’Alassane Ouattara.
4. Y a-t-il lieu de s’inquiéter sur l’avenir de la Côte d’Ivoire ?
Je parlerai plutôt du devenir du continent africain, lequel est en train de se jouer en ce moment, on ne s’en rend peut-être pas compte, en Côte d’Ivoire. Faut-il croire que tout a été entrepris par des puissances extra-continentales pour confirmer la séparation entre le Nord et le Sud ? Si cela se concrétise, le Soudan, le Nigeria, le Cameroun, la République démocratique du Congo et l’Angola subiront le même sort.
5. Pensez-vous que ce qui est en train de se dérouler en Côte d’Ivoire peut se reproduire en République démocratique du Congo qui entend organiser l’élection présidentielle en 2011, scrutin auquel vous serez candidat ?
Notre pays aurait pu vivre cette situation en 2006, si Jean-Pierre Bemba n’avait pas reconnu la victoire du président Kabila. Aucun pays africain n’étant à l’abri de ce qui se passe en Côte d’Ivoire, nous devons à tout prix lever les causes d’une éventuelle contestation avant l’organisation du scrutin. Nous devons donc mettre en place des dispositifs appropriés dans l’espoir d’un meilleur accompagnement du processus électoral, à commencer par l’exigence de la présence d’assesseurs de chaque candidat et d’observateurs de la communauté internationale dans tous les bureaux de vote. Il est aussi impératif qu’un Haut Représentant des Nations unies pour les élections soit nommé en vue d’un droit de regard, en conformité avec les dispositions légales, dans le processus électoral. Celui-ci doit permettre le déploiement des éléments de la Monusco (Mission des Nations unies pour la stabilisation du Congo) dans les zones contrôlées par les éléments du CNDP, échappant de ce fait aux FARDC. Si nous procédons de la sorte, notre pays échappera au « syndrome ivoirien ».
PROPOS RECUEILLIS PAR ROBERT KONGO, CORRESPONDANT EN FRANCE
(*) Président d’Union du Congo
© Le potentiel
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