Dans
l’entretien qu’il vient d’accorder à Œil d’Afrique,
Gaspard-Hubert Lonsi Koko dénonce, avec l’habileté dialectique
qui le caractérise, la mascarade que la CENI a appelée « calendrier
électoral » dans le but de repousser à 2017 les élections
urbaines, communales et locales.
Œil
d’Afrique : Que pensez-vous du calendrier électoral publié
récemment par la Commission électorale nationale indépendante
(CENI) ?
Gaspard-Hubert
Lonsi Koko :
La CENI aurait été crédible si elle avait articulé le calendrier
électoral dans un délai raisonnable et échelonné les différents
scrutins de manière cohérente. Le fait d’avoir agi dans la
précipitation, pour calmer le courroux des populations mécontentes
et donner aux éventuels bailleurs de fonds l’impression de
s’atteler sérieusement à la tâche, et programmé entre-temps des
intervalles relativement courtes s’apparente à une manœuvre
cousue de fil blanc. Cette mascarade relève, à mon avis, de
l’inconscience. Ceux qui essaient de diviser à dessein les
Congolais dans le seul espoir de garder le pouvoir le plus longtemps
possible risquent d’être fatalement victimes de l’irresponsabilité
dont ils ont fait preuve durant toute la mandature.
Œil
d’Afrique : Comment pouvez-vous mettre en cause la sincérité
de la CENI, alors que c’est un autre organisme qui a envisagé le
recensement des populations en vue de prochains enjeux électoraux ?
Gaspard-Hubert
Lonsi Koko :
Dans tout pays respectueux des fondamentaux propres à la démocratie
et au progrès social, le recensement de la population est une
opération capitale. C’est
grâce aux données collectées à cette occasion que les petits et
les grands projets concernant les administrés peuvent être pensés
et réalisés. Rappelons que le recensement, outre les informations
sur les caractéristiques de la population – âge, profession,
moyens de transport, conditions de logement... –, permet de
comptabiliser les personnes qui vivent dans un pays et d’établir
la population officielle de chaque commune. Du nombre d’habitants
dépendent également le nombre d’élus – au conseil
communal, au parlement provincial et à l’Assemblée nationale –,
la détermination du mode de scrutin, le nombre de pharmacies ou
d’autres infrastructures comme les hôpitaux, les crèches, les
écoles... Bref, le recensement permet de connaître la population,
de définir les moyens de fonctionnement des collectivités
territoriales en vue de la prise des décisions ou de l’adoption
des mesures idoines.
Or,
en République Démocratique du Congo, le président de la République
et ses affidés ont voulu exploiter, à travers l’Office
national de l’identification de la population (ONIP),
le recensement pour une finalité purement politicienne, notamment
dans le but de retarder les différents scrutins de 2016 et, surtout,
de se maintenir au pouvoir au-delà du délai constitutionnel. Pour
répondre à votre question, je n’aurais pas douté une seule
seconde de la crédibilité de la CENI si celle-ci avait œuvré
sérieusement en temps et en heure, et non dans la précipitation
pour faire le jeu de la majorité kabiliste.
Œil
d’Afrique :Ne croyez-vous pas que l’annonce du calendrier
électoral montre toutefois le souhait du pouvoir en place à
Kinshasa d’organiser les élections ? N’est-ce pas le gage
d’une réelle volonté démocratique ?
Gaspard-Hubert
Lonsi Koko : Une
telle argumentation doit être soutenue devant les personnes qui
veulent bien l’entendre. Je ne suis pas du tout un béotien, en
matière de stratégie politique. Vouloir apprendre à un socialiste
mitterrandien la manière de recourir au machiavélisme, cela revient
à prendre politiquement un risque considérable.
Œil
d’Afrique : Plus explicitement ?
Gaspard-Hubert
Lonsi Koko :
La CENI a proposé que le calendrier électoral commence par les
élections locales et municipales, lesquelles n’ont jamais eu lieu
depuis 2006, pour répondre à l’exigence de l’Accord de Sun
City. Mais, comme la majorité kabiliste est en réalité
minoritaire, elle n’a aucun intérêt à ce que le calendrier
défini par la CENI soit respecté. Une défaite cuisante aux
élections urbaines, communales et locales entraînera forcément une
très large victoire de l’opposition aux élections provinciales,
sénatoriales législatives et présidentielle. Tout a donc été
minutieusement pensé pour que le calendrier électoral soit très
serré, afin de pouvoir évoqué le moment venu l’impossibilité de
le respecter. L’objectif de la majorité kabiliste consiste à
reculer en 2017 les élections urbaines, communales et locales. Le
peuple congolais doit veiller au grain pour que l’ordre du
calendrier tel qu’articulé par la CENI ne soit pas inversé, voire
repoussé sine
die,
pour la énième fois.
Œil
d’Afrique : La loi électorale récemment promulguée par le
président Joseph Kabila ne garantit-il pas, selon vous, un meilleur
encadrement du processus électoral ?
Gaspard-Hubert
Lonsi Koko :
Comment voulez-vous que je fasse confiance à une loi injuste ?
La Loi présentée par le Gouvernement et votée par le Parlement,
promulguée dans la foulée par le président de la République après
l’aval de la Cour Suprême de Justice, institution qui joue encore
le rôle de la Cour constitutionnelle, légalise de
facto
l’inégalité des Congolais au regard de la représentativité
politique. Elle doit être purement et simplement abrogée. Ainsi
revient-il au peuple congolais de défaire pacifiquement dans la rue,
en tant que souverain primaire, ce que le Gouvernement et le
Parlement ont cyniquement concocté. Les Congolaises et les Congolais
doivent réparer l’injustice flagrante que la Cour Suprême de
Justice et la présidence de la République ont ignominieusement
cautionnée. Face à la faillite des institutions étatiques, il
revient au peuple congolais de rétablir l’ordre constitutionnel.
Propos
recueillis par Roger Musandji
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