A
la suite du mécontentement des populations, lesquelles ont récemment
manifesté dans les rues de Kinshasa et d’autres villes de la
République Démocratique du Congo, la Chambre basse a adopté en
seconde lecture, lors de la séance extraordinaire du 25 janvier
2015, le projet de loi électorale amendé la veille par la Chambre
haute. Celle-ci a préféré supprimer la disposition, très
controversée, qui liait le recensement des populations aux élections
présidentielle et législatives de 2016. A défaut de modifier la
Constitution, les pesanteurs nationales et internationales étant
défavorables à une telle option, le gouvernement congolais a
souhaité procéder à la modification de la
loi N° 06/006 du 9 mars 2006, telle que modifiée par la Loi N°
11/003 du 25 juin 2011,
pour permettre à Joseph Kabila de passer outre la Loi fondamentale
limitant à deux le mandat présidentiel. Le texte voté par
l’Assemblée nationale préconise, entre autres, le vote des
Congolais de l’étranger à l’élection présidentielle, le
recensement préalable en vue des élections législatives,
l’agrément d’un parti politique douze mois avant
l’enregistrement des candidatures, la caution non remboursable de
plus de 100 000 USD et un diplôme (Bac + 5) pour une
candidature à la présidence de la République…
L’égalité
des Congolais au regard de la Loi
Au
vu du texte voté par l’Assemblée nationale en vue de sa
promulgation par le magistrat suprême, il se pose véritablement la
question de l’égalité en matière des droits civils et politiques
conformément à l’article 11 de la Constitution du 18 février
2006. De plus, celui-ci stipule que « tous
les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en
droits ».
Ainsi l’article 12 de la Loi fondamentale rappelle-t-il non
seulement l’égalité de tous les Congolais devant la loi, mais
aussi leur « droit
à une égale protection des lois »,
tandis que l’article 13 confirme le fait qu’« aucun
Congolais ne peut, en matière d'éducation et d’accès aux
fonctions publiques ni en aucune autre matière, faire l’objet
d’une mesure discriminatoire, qu’elle résulte de la loi ou d’un
acte de l’exécutif, en raison de sa religion, de son origine
familiale, de sa condition sociale, de sa résidence, de ses opinions
ou de ses convictions politiques, de son appartenance à une race, à
une ethnie, à une tribu, à une minorité culturelle ou
linguistique ».
Bref, sauf exception établie par la loi, la Constitution reconnaît
au peuple congolais la jouissance des droits politiques.
Une
loi injuste
En
ayant voté un projet de loi qui conditionne la candidature à
l’élection présidentielle à une caution de plus de 100 000
USD, non remboursables, et à la détention d’un diplôme, la
majorité kabiliste
a démontré sa volonté de torpiller la cohésion nationale et
d’exclure la plus grande majorité de Congolais de la gestion de la
chose publique. En ayant approuvé un texte qui fait des Congolais de
la diaspora des électeurs
non éligibles
au scrutin présidentiel, tout en leur privant le droit d’être
représentés par des députés et des sénateurs, les parlementaires
favorables au pouvoir en place à Kinshasa les considèrent comme des
sous-citoyens économiquement intéressants mais politiquement
indésirables. Dans le même ordre d’idées, dès lors que l’on
peut se présenter à une élection comme candidat indépendant, le
fait d’exiger l’agrément d’un parti politique douze mois avant
l’enregistrement des candidatures a une portée tout simplement
mercantile. Pis encore, ce projet de loi reconnaît à tous les
Congolais le devoir d’être électeurs et prive certains d’entre
eux du droit d’être éligibles. De ce fait, il rend les Congolais
égaux en devoirs mais inégaux en droits.
De
toute évidence, les quelques exemples évoqués ci-dessus démontrent
la détermination de la Chambre basse à imposer une sorte de
« démocratie
dictatoriale »
encline à la confiscation du pouvoir par une nomenklatura. Par
conséquent, on est droit de s’interroger sur l’attitude du
président de la République Démocratique du Congo en tant que
garant de la Constitution, de l’indépendance nationale, de
l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale. Se
comportera-t-il en arbitre respectueux de l’égalité de tous les
citoyens et du respect des droits fondamentaux ?
Promulgation
ou non ?
Si Saint
Augustin affirme qu’«
une loi injuste n’est pas une loi »,
l’opposition
et la désobéissance aux lois injustes doivent être une obligation
morale et non un devoir juridique. De plus,
si toute
loi qui élève la personne humaine est juste, celle qui la dégrade
est injuste. Pourra-t-on reprocher, par conséquent, à la grande
majorité de Congolais, à qui l’on veut sciemment exclure de la
gestion de la chose publique, de désobéir collectivement à une loi
discriminatoire et inconstitutionnelle ? En tout cas, en droit,
le fait d’accepter l’existence d’une loi injuste revient à
accepter une contradiction interne à la définition même de la loi.
En
République Démocratique du Congo, on est en train d’assister à
l’oppression d’un peuple par une minorité sociale qui se sert du
Parlement pour légaliser des textes n’ayant d’une loi que la
contrainte et l’exclusion. Or, selon
l’article 123 de la Constitution du 18 février 2006, « les
lois organiques ne peuvent être promulguées qu'après déclaration
par la Cour constitutionnelle, obligatoirement saisie par le
Président de la République, de leur conformité à la
Constitution ».
Le président de la République peut aussi demander à l’Assemblée
nationale ou au Sénat, conformément à l’article 137, une
nouvelle délibération d’une loi ou de certains de ses articles.
La
loi et la justice
La
promulgation de la loi injuste par le président de la République
Démocratique du Congo, votée le 25 janvier dernier par la Chambre
basse, ne pourra que cautionner une injustice légalement établie
par les députés. De ce fait, l’acte présidentiel risque de
mettre un terme à l’espoir des citoyens congolais, lésés dans
leur droit fondamental, de recourir aux moyens prévus ou permis par
la loi. Effectivement, si ceux-ci s’avèrent inopérants, il ne
restera plus qu’un seul choix au peuple : celui de prendre en
main son destin. Seule la désobéissance civile – justifiée,
consciente et efficace –, permettra en dernier ressort au souverain
primaire de mieux faire face, grâce à une action collective et
organisée, au conflit opposant la loi à la justice. A cet effet,
son comportement et sa responsabilité ne pourront que contribuer au
triomphe de la légitimité sur la légalité. Seul le rapport de
force, d’une manière ou d’une autre, obligera la suppression de
la loi injuste au profit de la promulgation d’une nouvelle loi qui
imposera la justice.
Gaspard-Hubert
Lonsi Koko
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