La Cour constitutionnelle
de la République Démocratique du Congo, saisie par des députés de
la majorité présidentielle, s'est prononcée le 11 mai dernier sur
le litige opposant quelques dispositions constitutionnelles. Pour les
uns, le président de la République, arrivé à la fin de son
mandat, doit demeurer en fonction en attendant l'installation
effective de son successeur élu conformément au deuxième alinéa
de l'article 70 de la Constitution. Pour les autres, la fin du mandat
présidentiel non suivie de l'installation effective de son
successeur élu crée la vacance de la présidence de la République
au regard des articles 75 et 76.
La
décision de la Cour
Selon les requérants, les
interprétations à donner à l'article 70 alinéa 2 est celle des
articles 103, 105 et 197 alinéas 1 à 6 relatifs respectivement aux
députés nationaux, aux sénateurs et aux députés provinciaux. La
finalité dans l'esprit du législateur a consisté à assurer, de
manière exceptionnelle, la stabilité et la continuité des
institutions – l'objectif étant d'éviter un vide juridique en cas
de non-organisation des élections en temps prévu. Pour le juge,
l'alinéa 2 de l'article 70 permet au président de la République
arrivé en fin de mandat de demeurer en fonction, en vertu du
principe de la continuité de l'État, jusqu'à l'installation du
nouveau président élu.
Les motivations
Sur
le conflit horizontal de normes, il
s'agit d'un litige entre plusieurs normes de même valeur : à
savoir l'article 70 et les articles 75 et 76. Par
conséquent, la Cour constitutionnelle ne pouvait que prendre
position pour l'une ou les autres, sans statuer sur leur validité.
Quelle règle fallait-il alors appliquer ? Les deux normes ayant
le même champ d'action, le juge aurait dû chercher la conciliation.
Or, en ayant privilégié l'une des normes au détriment de l'autre,
la Cour a exclu à tort les articles 75 et 76 de la loi fondamentale
du principe de la continuité de l'État qu'elle reconnaît à
l'article 70-2. Elle a donc ignoré que ces deux articles sont
concernés de la même façon par la question prioritaire de
constitutionnalité. De plus, l'intérim du président du Sénat
aurait aussi permis d'« éviter
le vide à la tête de l'État ».
Si
le juge doit trancher, faute de commettre un déni de justice, il
doit donc se positionner par rapport aux deux normes en conflit sans
outrepasser ses pouvoirs. Or la Cour n'a pas résisté au devoir
naturel d'interprétation, lequel est apparu comme un acte de
volonté. En n'ayant pas apprécié tous les éléments qui auraient
dû être pris en compte pour régler ce conflit horizontal de
normes, la Cour s'est fondée sur des éléments potentiellement très
subjectifs.
Sur
les éléments à prendre en compte en vue du verdict, l'article
70 alinéa 2 est limpide, car il évoque « la
fin du mandat du président de la République ».
Ce dernier ne peut demeurer en fonction en attendant l'installation
effective de son successeur élu que pour s'occuper des affaires
courantes. Pendant combien de temps les expédiera-t-il, en cas de
non-volonté d'organiser l'élection présidentielle ?
Souhaite-t-on une présidence à vie ?
S'agissant des intentions
premières des auteurs de cette saisine, en assimilant l'article 70
alinéa 2 aux articles 103 pour les députés nationaux, 105 pour les
sénateurs et 197 alinéas 1 à 6 pour les députés provinciaux, la
Cour n'a pas cerné la vraie motivation des requérants, laquelle
consiste, par ricochet, à garder leurs mandats en cas de
non-organisation des élections les concernant. On risque donc de
sombrer dans un processus qui légalisera les mandats à vie.
Sur
les insuffisances de la CENI, la
Cour a oublié que les moyens de réalisation des missions et
d'attribution de la Commission électorale nationale indépendante
(CENI) conformément aux alinéas 3 et 4 de l'article 73 incombent à
l'Assemblée nationale, au Président de la République et au
Gouvernement. Dans cette même optique, la composition de la CENI
démontre que la mouvance présidentielle y est majoritaire.
L'argument
concernant la vacance de la présidence de la République et le
principe de la continuité de l’État
n'est pas du tout convaincant du fait des articles 73, 75 et 76
relatifs à la fois à la convocation du scrutin pour l'élection
présidentielle, à la vacance et à l'intérim par le président du
Sénat. Par ailleurs, à travers ses arguties, la Cour a confondu le
droit constitutionnel avec le droit administratif.
Sur
les traités et accords internationaux, la
Cour a aussi ignoré les dispositifs constitutionnels ayant trait aux
traités et accords internationaux, plus précisément les articles
69 alinéa 3 et 215. De plus, la Résolution 2277, laquelle était
adoptée au Conseil de Sécurité des Nations Unies, recommande
l'organisation de l'élection présidentielle dans le délai
constitutionnel.
Sur
la séparation des pouvoirs, au
vu de différents éléments exposés ci-dessus, l'arrêt rendu par
la Cour a tout simplement mis à mal la sécurité juridique. Ainsi
est-on en droit de s'interroger sérieusement sur la subordination du
pouvoir judiciaire au pouvoir politique et sur la violation de la
clause constitutionnelle relative à la séparation des pouvoirs
exécutif, législatif et judiciaires – plus précisément le
premier alinéa de l'article 149.
En
guise de conclusion
Force est de constater que la Cour
ne s'était pas interrogée sur les véritables intentions des
requérants. Sans prendre en compte les différents paramètres
relatifs à ce litige, elle s'est prononcée sur la validité des
normes de même valeur au lieu de chercher la conciliation. Il est
évident que l'arrêt de la Cour a été motivé par des éléments
potentiellement subjectifs, laissant ainsi apparaître un acte de
volonté manifeste de la part du juge. Et comme les arrêts de la
Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d'aucun recours et sont
immédiatement exécutables conformément à l'article 168 de la
Constitution, quelques démarches s'imposent.
Dès lors que l'arrêt de la Cour
constitutionnelle confirme le maintien du président de la République
en fin de mandat en cas de non élection, ce dernier ne peut
qu'empêcher la CENI d'organiser les élections dans le but de rester
au pouvoir. Ainsi la Cour a-t-elle cautionné, en violation des
quelques dispositifs constitutionnels, un coup d'État
institutionnel.
En
conséquence, il revient à l'opposition politique, aux forces vives
de la Nation congolaise et au souverain primaire, donc le Peuple, de
réagir d'une part par le dépôt d'un recours en interprétation des
dispositions constitutionnelles suivantes : les articles 69
alinéas 3 relatif au respect des traités internationaux, 73
concernant les moyens alloués à la CENI et 215 à propos de la
supériorité des traités internationaux sur les lois ; d'autre
part, par la mobilisation populaire conformément aux articles 28
relatif à la non-exécution d'un ordre manifestement illégal et 64
relatif à l’exercice
du pouvoir en violation des dispositions de la présente
Constitution.
Gaspard-Hubert
Lonsi Koko
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