Selon de nombreuses sources, les élections en République Démocratique du Congo pourraient être reportées si l’Assemblée nationale ne vote pas avant le 10 août prochain l’annexe à la loi fixant la répartition des sièges pour les législatives. Le président de la Commission nationale électorale indépendante (CENI), Daniel Ngoy Mulunda a même indiqué que si cet annexe n’était pas voté à cette date, il serait dans l’obligation de proposer un autre calendrier, découplant ainsi la présidentielle des législatives, initialement prévues le 28 novembre. Cette situation inquiète, à plusieurs égards, l’opposition congolaise et la communauté internationale. On se rappelle les déclarations de monsieur Ban Ki-Moon, faites le 18 mai 2011, devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies : « Ces élections doivent avoir lieu dans les délais, être transparentes et crédibles, se dérouler dans la paix et la sécurité, et offrir à tous les Congolais l’occasion de participer librement, sans crainte d’être victimes de harcèlement ou de violence. Nous devons tout mettre en œuvre pour garantir que la violence n’éclate pas avant, pendant ou après les élections... ».
Les facteurs internes et externes
En tout cas, plusieurs faisceaux d’éléments laissent supposer le report, voire la non-tenue des élections en République Démocratique du Congo. Au cas où celles-ci auraient lieu, on ne pourrait que difficilement éviter la manipulation, les contestations ou le rejet pure et simple des résultats à cause du laisser-faire en amont dans les préparatifs. Nombreux sont donc les ingrédients susceptibles d’hypothéquer le processus électoral en cour : la bataille autour du fichier électoral, du calendrier électoral et de la loi électorale ; la suspicion et le manque de confiance à l’égard de la Commission Électorale et/ou d’autres institutions impliquées dans le processus ; la méfiance, voire une haine viscérale, entre les acteurs politiques majeurs ; la loyauté circonstancielle, situationniste et à géométrie variable des élites ; la manipulation et de l’instrumentalisation des populations ainsi que des institutions ; l’opacité des conditions de transfert et de compilation des résultats ; les arrière-pensées politiques dictées par l’angoisse et les incertitudes, quant à l’avenir et au devenir tant individuel que collectif, au point de pousser les uns et les autres à perturber le processus électoral afin d’aboutir à des négociations à propos d’un nouveau partage du pouvoir dans le cadre d’un gouvernement d’union nationale, ou de transition.
Au vu des éléments évoqués ci-dessus, deux facteurs ont été négligés. D’une part, on devait se demander si les conditions étaient réunies pour le déroulement des élections dans un climat apaisé. D’autre part, on aurait dû déterminer le rôle de la communauté internationale en vue des élections fiables, crédibles, justes et transparentes. Cela aurait permis non seulement de faire, de manière exhaustive, l’inventaire des problèmes qui auraient pu se poser à tous les niveaux et à chaque étape du processus électoral annoncé afin de décliner les solutions idoines, mais aussi de mesurer l’adéquation entre les problèmes identifiés et les solutions proposées, s’agissant de la fiabilité ainsi que de la faisabilité.
Plus clairement, pour prévenir les tensions et les conflits qui pouvaient découler du processus électoral en cours, il était nécessaire de tenir compte des thématiques relatives à la définition – en termes identiques, du cadre, du rôle et des missions dévolues à chaque institution –, à l’évaluation du niveau d’implication de chaque intervenant institutionnel par le passage en revue des promesses et d’apports divers, ainsi qu’au travail pédagogique de vulgarisation et de sensibilisation.
Une loi injuste
Les dispositions constitutionnelles ne confirment en rien l’exclusion du processus électoral d’une certaine catégorie du peuple congolais, sous prétexte qu’elle vit en dehors du territoire national. Au contraire, elles cautionnent les droits humains, les libertés fondamentales, les devoirs du citoyen et de l’État. Évidemment, l’article 5 de la Constitution congolaise, alinéa 3, rappelle que « tous les Congolais de deux sexes âgés de dix-huit ans révolus et jouissant de leurs droits civils et politiques sont électeurs et éligibles », tandis que l’article 6, alinéas 1 et 2 affirme que « tout Congolais jouissant de ses droits civils et politiques a le droit de créer un parti politique ou de s’affilier à un parti de son choix », précise que « les partis politiques concourent à l’expression du suffrage, au renforcement de la conscience nationale et à l’éducation civique », que ceux-ci « se forment et exercent librement leurs activités dans le respect de la loi, de l’ordre public et des bonnes mœurs ». Quant à l’article 11, il stipule que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits », et l’article 12 précise que « tous les Congolais sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection des lois ». Pour ce qui est de l’article 50, premier alinéa, il affirme que « l’État protège les droits et les intérêts légitimes des Congolais qui se trouvent tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays », tandis que l’article 66 confirme que « tout Congolais a le devoir de respecter et de traiter ses concitoyens sans discrimination aucune et d’entretenir avec eux des relations qui permettent de sauvegarder, de promouvoir et de renforcer l’unité nationale, le respect et la tolérance réciproques ». Enfin, l’article 102, dans son alinéa 3, précise que « nul ne peut être candidat aux élections législatives s’il ne remplit les conditions ci-après : [...] jouir de la plénitude de ses droits civils et politiques ».
Or, que constate-t-on ? L’Assemblée nationale et le Sénat ont voté le 15 juin 2011 la nouvelle loi électorale qui régira les scrutins prévus entre le 28 novembre prochain – pour la présidentielle et les législatives – et la mi-2013, quant aux autres élections. Les parlementaires sortants se sont arrangés pour conditionner la validité d’une candidature à un minimum de cinq ans dans les domaines politique, administratif et économique à défaut du cursus universitaire ou autre capacité. Dans un pays où l’instruction n’est pas à la portée des trois quarts de la population, où l’État est incapable de créer des emplois, seul le suffrage populaire peut permettre l’égal accès à la représentativité électorale. Conditionner le mandat électif, exclure des milliers d’individus d’une partie de leurs droits civils, c’est fouler au pied la règle universelle qui veut que le peuple soit le souverain primaire.
La non-promulgation de la nouvelle loi électorale
La loi ne doit en aucun cas devenir la source des tensions et des conflits pouvant hypothéquer le processus électoral en cours. Elle doit plutôt garantir la légitimité de futurs élus. Malheureusement, la nouvelle loi électorale votée par les parlementaires a non seulement exclu les Congolais de l’étranger de leurs droits civils et politiques, mais elle a surtout accordé aux Congolais de l’intérieur le droit de vote, tout en privant un bon nombre d’entre eux du droit d’être éligibles. Or, en droit, la loi désigne une règle juridique suprême, générale et impersonnelle. Cette nouvelle loi électorale viole de facto les articles 5, 6, 11, 12, 50, 66 et 102 de la Constitution congolaise.
Cela revient à conclure que, lorsqu’une loi est régulièrement adoptée, seul le législateur, ou une autorité supérieure, pourra la défaire ou la refaire conformément à la règle pratique du « parallélisme des formes ». Comme une autre autorité peut passer outre, ou modifier la loi, dès lors qu’elle est inconstitutionnelle, tout en se basant sur le principe selon lequel la Constitution l’emporte sur la loi en cas de conflit et sur le fait que, conformément à l’alinéa 2 de l’article 69, « le président de la République veille au respect de la Constitution », Joseph Kabila, n’aurait en aucun cas permis la promulgation d’une loi dont l’inconstitutionnalité de certaines dispositions génère, à n’en pas douter, des injustices. Ainsi aurait-il demander au gouvernement et aux parlementaires congolais soit de revoir purement et simplement leur copie, soit de rejeter l’abrogation de l’ancienne loi électorale.
Organiser à tout prix les élections dans pareilles circonstances n’augure guère une issue salutaire, tous les ingrédients étant donc réunies pour que la République Démocratique du Congo connaisse une situation à l’ivoirienne. De plus, l’expérience de 2006 relative à la défaite supposée de Jean-Pierre Bemba et celle, plus récente, de la Côte d’Ivoire ont démontré que la présence des casques bleus, les engagements de la communauté internationale et les règles du jeu acceptées par tous, l’acceptation du processus électoral n’ont pas évité les contestations des résultats et les violences meurtrières.
Gaspard-Hubert Lonsi Koko
Porte-parole du Rassemblement pour le Développement et la Paix au Congo (RDPC)
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